vendredi 13 mars 2009

Le blues des notables

Source : Les Echos

Face à une réforme, quelle que soit sa justification, l'opposition farouche d'une minorité est souvent plus efficace que le consensus mou de la majorité : les protestations du petit groupe qui a quelque chose à perdre font oublier au reste de la population qu'il a quelque chose à gagner, surtout si ce gain est diffus. Ce constat élémentaire de l'« économie des choix publics » - discipline peu explorée en France, pays pourtant réputé pour son amour de la théorie - laisse mal augurer de la réforme de l'organisation territoriale, objet du rapport qu'Edouard Balladur vient de remettre à Nicolas Sarkozy. Ce texte n'est que le dernier-né d'une longue série d'expertises sur notre « mille-feuille administratif », sa complexité et son coût. Quels que soient ses défauts, on ne peut nier que les vingt propositions qu'il avance répondent aux souhaits formulés depuis longtemps, la main sur le coeur, par l'ensemble de la classe politique : simplification, économie, efficacité.

Pourquoi donc a-t-il suscité une si violente hostilité ? Parce que, s'il va dans le sens du consensus majoritaire, il heurte de front une minorité. Pas un groupe socioprofessionnel, mais une catégorie forgée par l'histoire, profondément incorporée à notre paysage politique, celle des notables. Le rapport propose, en effet, de « désigner, par une même élection, les conseillers régionaux et départementaux », au scrutin de liste, les premiers de chaque liste siégeant à la fois dans les deux conseils ; et de réduire, en même temps, le nombre des circonscriptions électorales servant de base à ce scrutin (actuellement les cantons). Ces deux innovations conjuguées réduiraient d'un bon tiers le nombre d'élus des assemblées locales (ils sont environ 4.000 dans les conseils généraux et 1.800 dans les conseils régionaux). En somme, non content de ne pas renouveler « un fonctionnaire sur deux » au moment du départ à la retraite, le réformateur voudrait réserver le même sort à « un notable sur trois » au moment de l'épreuve électorale. On comprend qu'il y ait des résistances, à droite comme à gauche. Leur stratégie, très classique, consiste à entretenir une confusion que favorise la complexité du problème, en variant les angles d'attaque, de l'accusation d'arrière-pensées politiciennes au simple mensonge : une vidéo diffusée sur Dailymotion par le conseil général de la Seine-Maritime demande aux passants de se prononcer sur une réforme qui « supprime les départements » - proposition absente du rapport...