lundi 2 novembre 2009

Taxe pro : Bercy déterminé, mais à l'écoute des sénateurs

Source : Le Figaro

Alors que Jean-Pierre Raffarin, opposé au texte sur la fiscalité locale, sera reçu mercredi par Christine Lagarde, le ministre du Budget Eric Woerth souhaite que la réforme «doit être votée maintenant».

Début octobre, Alain Juppé avait expliqué que «c'était se foutre du monde» que de supprimer la taxe professionnelle (TP) sans garantir de compensation pour les collectivités locales à long­terme. Mercredi, Édouard Balladur avait jugé pour sa part qu'«il faut savoir qui doit dépenser quoi avant de savoir comment on le finance». Ce week-end, un troisième ancien premier ministre de la majorité, Jean-Pierre Raffarin, les a rejoints pour critiquer les modalités de la suppression de la TP. Et le sénateur de la Vienne n'est pas venu seul puisqu'il cosigne avec 23 de ses 151 collègues UMP une tribune dans le JDD intitulée «Pourquoi nous ne voterons pas la réforme».

Au nom de la «sagesse réformatrice», ces «militants de la République décentralisée» rejettent la proposition du gouvernement, qui n'est, à leurs yeux, «ni claire, ni juste, ni conforme à nos convictions d'élus enracinés». Principal objet de leur colère : le calendrier qui demande de voter la réforme de la TP et des ressources des collectivités locales avant de voter la réforme de leurs structures et de leurs compétences. Ce second volet, préparé par le ministre de l'Intérieur, Brice Hortefeux, ne sera présenté en première lecture au Sénat qu'en décembre. Et encore ne comprend-il que le volet «institutionnel», celui des compétences étant renvoyé à la fin de 2010, voire à 2011.

À quinze jours de l'examen du projet de loi de finances, «il nous apparaît peu rationnel de mener la réforme des finances avant celle des compétences», expliquent ainsi les sénateurs frondeurs. Ils proposent «un amendement visant à donner le temps nécessaire au bon ordre des réformes» et demandent au gouvernement les «simulations financières et fiscales que Bercy est dans l'impossibilité de fournir dans les délais impartis». Invité du «Talk Orange-Le Figaro» mercredi, Jean-Pierre Raffarin avait d'ores et déjà annoncé : «Je ne crois pas qu'il y ait aujourd'hui de majorité au Sénat pour voter la réforme de la taxe professionnelle.»

Eric Woerth inflexible

Dès dimanche, le ministère de l'Économie réagissait au texte de l'ancien premier ministre en se déclarant «à l'écoute de toutes les remarques des sénateurs». Bercy affirme être disposé à travailler avec les sénateurs à l'élaboration d'un texte qui leur convienne. Rendez-vous est pris mercredi au ministère où Jean-Pierre Raffarin devrait rencontrer Christine Lagarde.

Sur le fond, rien ne sépare la ministre de l'Economie d'Eric Woerth. Mais sur la forme, ce dernier se montre beaucoup plus ferme. «On va discuter de tout cela, mais la réforme doit se faire», a ainsi martelé lundi matin le ministre du Budget. Malgré l'«appel au dialogue des sénateurs», «la réforme ne peut pas attendre et doit être votée maintenant», a-t-il précisé.

Au Palais du Luxembourg, l'UMP doit composer avec les sénateurs des groupes centristes et radicaux pour dégager, au cas par cas, des majorités. Et ces derniers sont loin d'être convaincus, qui de la réforme, qui de son calendrier. «On n'achète pas un lapin dans un sac opaque», explique ainsi Jean Arthuis, le président du groupe Union centriste et de la commission des finances du Sénat. Ce texte «est trop lourd pour le voter en l'état et dans les délais impartis. Il n'est pas dramatique que le Parlement prenne le temps de la réflexion», précise-t-il.

135 pages et 1 257 alinéas

Politiquement, la mesure se résume à quelques phrases lancées en février par Nicolas Sarkozy : «On supprimera la taxe professionnelle en 2010», avait-il annoncé, ajoutant que le gouvernement discuterait «avec les élus locaux de l'impôt de remplacement que nous devrons trouver». Les entreprises profiteraient de cet allègement dès le 1er janvier, l'État compensant le manque à gagner en 2010 avant la mise en place de l'impôt de remplacement en 2011.

Dans les faits, le projet se traduit dans l'interminable article 2 de la loi de finances : 135 pages et 1 257 alinéas qui ont déjà été l'objet d'un bras de fer entre le gouvernement et les députés. «Je suis bien conscient des limites de ce texte, même modifié par l'Assemblée», concède le rapporteur général de la commission des finances et député UMP Gilles Carrez, qui prévoit déjà des ajustements à l'occasion d'une loi de finances rectificative, courant 2010. «Mais ce serait une erreur de voter la suppression de la taxe professionnelle pour les entreprises et de laisser en suspens la partie sur les collectivités territoriales, ajoute-t-il. Si on ne vote rien, les collectivités locales seront totalement dans les mains de l'État !» «S'ils s'engagent dans cette voie, les sénateurs doivent aller jusqu'au bout et ne pas appliquer la suppression de la TP en 2010», renchérit un député UMP qui avoue, sous couvert d'anonymat, ne pas être «allergique» à cette idée.

Les sénateurs auraient-ils ouvert la boîte de Pandore ? Gilles Carrez l'exclut : «Le débat au Sénat va encore faire avancer le projet, puis viendra éventuellement le temps de la commission mixte paritaire», qui devra dégager un compromis. Et si la fronde sénatoriale ne s'éteignait pas ? «Je n'ose imaginer cette hypothèse», soupire Carrez en rappelant que l'Assemblée nationale aura le dernier mot. Nicolas Sarkozy ne l'envisage pas non plus. «Il faut supprimer la taxe professionnelle, c'est une réforme urgente sur laquelle je ne céderai pas», avait-il martelé à Saint-Dizier le 20 octobre. Mais le président avait concédé : «Bien sûr, il eût été beaucoup plus simple de faire la réforme institutionnelle d'abord - on adore ça - et la fiscalité locale ensuite.» Aujourd'hui, le Sénat semble décidé à faire «plus simple».