lundi 23 février 2009

ITV de Jean-Luc Boeuf : "Il faut en finir avec la fiscalité locale"

Jean-Luc Boeuf, administrateur territorial et professeur à Sciences Po, estime qu'il faudrait carrément supprimer la fiscalité locale pour la remplacer par le partage d'un impôt national

Localtis - Quelle est votre réaction face à l'annonce désormais formelle par le chef de l'Etat d'une suppression de la taxe professionnelle pour 2010 ?

Jean-Luc Boeuf : On le voit suite à cette vraie-fausse annonce de suppression de la taxe professionnelle : tout le monde mélange tous les chiffres. La TP représente, en arrondissant, 28 milliards d'euros sur les 190 milliards de recettes courantes des collectivités. Il s'agirait de supprimer sa partie investissement, qui représente 80% de son assiette. En sachant que là-dessus, 12 milliards sont déjà pris en charge par l'Etat... Le nombre incalculable de dégrèvements et d'exonérations ont complexifié la fiscalité locale à l'extrême. Je pense donc qu'il faut aller beaucoup plus loin, adopter une posture radicale. L'idée que je souhaiterais faire entendre est qu'il faut en finir avec la fiscalité locale.


Une idée qui détonne, si l'on en croit les nombreuses réactions suscitées du côté des associations d'élus locaux par la suppression de la TP... Et que faites-vous du principe d'autonomie fiscale ?

Certes, nous sommes encore peu nombreux... Les élus s'arc-boutent sur cette notion d'autonomie fiscale. Or il s'agit, selon moi, d'une posture intellectuelle. Car en tant que praticien, lorsque l'on prépare le budget d'une collectivité, on ne se pose jamais la question de l'autonomie fiscale. La question que l'on se pose est bien celle de savoir quelles politiques publiques on va pouvoir mettre en oeuvre et avec quelles recettes. Et ce dont on a besoin, c'est de recettes stables à moyen terme et identifiables par le citoyen. Les communiqués de réaction des associations d'élus qui se sont succédé étaient décevants. Alors que l'on évoque depuis tant d'années une réforme, ces associations n'ont toujours pas réussi à se mettre d'accord sur un scénario. Donc si la fiscalité locale n'est pas réformable, autant la supprimer !



N'est-il pas surprenant que l'annonce de la suppression de la TP soit intervenue avant les conclusions des travaux du comité Balladur - que l'on aborde la question de la fiscalité avant celle des compétences ?

Il est vrai que cette annonce est apparue déconnectée de ces travaux. Or il ne faudrait pas que la réforme de la fiscalité locale serve d'écran de fumée à la réforme du système institutionnel local. Tout se passe comme si on avait plusieurs plaques que l'on fait glisser l'une sur l'autre... Il y en aurait trois aujourd'hui : la fiscalité avec la TP, les institutions avec le comité Balladur... et la relance. Or regardez ce qu'est le plan de relance. Il est notamment une caricature de l'utilisation de crédits qui auraient déjà dû être consommés, d'un simple rattrapage. Si l'on prend les contrats de projet Etat-région (CPER) et les programmes de développement et de modernisation des infrastructures routières (PDMI), on est en fait sur ce qui devrait être une année normale d'investissement de l'Etat.



Vous avez été auditionné par la commission Belot au Sénat, par le comité Balladur... Quel doit selon vous être l'objectif de la réforme des institutions locales ?

L'objectif de la réforme est de clarifier le système institutionnel et les compétences de chacun, de simplifier les circuits de décision et de financements, d'économiser par la recherche systématique d'une plus grande performance dans l'action publique locale. Le tout sans créer de nouvelles structures ! Mais cette réforme ne saurait aboutir si une nouvelle méthode n'est pas adoptée.
En effet, la réforme doit pouvoir être énoncée sous la forme d'une loi simple, encore une fois dans un souci de lisibilité démocratique. Mais je propose d'aller plus loin et de porter le débat sur la place publique, afin que les citoyens s'approprient pleinement les enjeux et soient en mesure de décider de l'opportunité ou non d'une réforme, pour lui donner toute sa force - dans l'affirmative évidemment.
Il me semble tout à fait indiqué d'organiser une grande conférence de consensus nationale - sans hésiter à sortir de Paris, et pourquoi pas de manière itinérante - afin de donner toute sa visibilité à la situation dans laquelle se trouve le paysage administratif local, les élus locaux, les praticiens des administrations. Cette démarche prendra selon moi tout son sens à condition d'aboutir à un référendum d'initiative présidentielle, tel que prévu à l'article 11 de notre Constitution.



Quelle serait alors la question à poser pour ce référendum ? Ou plutôt, quels principes souhaiteriez-vous voir adopter ?

Tout d'abord, la limitation des cofinancements s'impose : on est aujourd'hui en sur-régime total. Il faut aboutir à quelque chose de beaucoup plus simple - on ne peut continuer à être 50 autour de la table pour boucler un dossier ! Ensuite, il faut encourager un aménagement à la carte, sachant par exemple que sur certains territoires, les limites départementales ne veulent plus dire grand-chose. Et, enfin, supprimer la fiscalité locale.



Mais pour la remplacer par quoi ?

Les possibilités de remplacement ne manquent pas. A la place de la TP, les collectivités pourraient se voir attribuer une fraction de la TVA, à condition par exemple de la régionaliser, conformément à ce que préconisait le rapport Fouquet. Ce partage de la TVA donnerait la garantie d'un prélèvement lisible et acceptable, car effectué à la source, sur des bases larges et à faible taux, sans souci de localisation. A condition, bien sûr, de faire valider l'opération par Bruxelles.
Autre option, l'Etat pourrait transférer l'intégralité des recettes de la taxe intérieure sur les produits pétroliers (TIPP) aux départements et aux régions. Rappelons qu'il a transféré à ces deux échelons l'essentiel du réseau routier. Et que, partout, ils sont à pied d'oeuvre pour diversifier l'offre de transports terrestres et promouvoir une mobilité durable : transports urbains en site propre ou à la demande - avec les intercommunalités -, transports interurbains type bus ou tram-train, transports régionaux de voyageurs, etc. Y a-t-il plus belle définition de la fiscalité écologique ?
Dans la même logique et pour décliner l'idée d'une taxe carbone évoquée par le président de la République, pourquoi ne pas affecter cette nouvelle ressource aux communes et intercommunalités qui mettent en oeuvre des outils de diagnostic thermique et des aides à l'isolation des bâtiments, ou bien mettent en place des agendas 21 et autres plans Climat ? Un véritable pouvoir fiscal écologique renforcerait leur arsenal de mesures incitatives.