mardi 20 octobre 2009

"Une reprise en main du pouvoir central sur les collectivités locales "

ITV Pierre Mauroy dans le Monde

Auteur des lois de décentralisation de 1982, l'ancien premier ministre socialiste Pierre Mauroy porte un regard sévère sur le projet de réforme des collectivités territoriales. Associé aux travaux préparatoires, il dénonce la "volonté recentralisatrice" de Nicolas Sarkozy et s'élève contre le procès en mauvaise gestion fait aux élus locaux.

Vous avez participé au Comité Balladur qui a inspiré la réforme des collectivités locales. Le résultat correspond-il à ce que vous espériez ?

J'ai participé à ce comité à la demande du président de la République et avec l'aval du bureau national du PS. Mon seul objectif était de prolonger la politique de décentralisation initiée par mon gouvernement, en 1982. Les lois de décentralisation, que les Français ont largement approuvées, ont près de trente ans. Il est donc nécessaire de les réformer pour tenir compte de l'évolution de la société française. J'ai approuvé les propositions du comité qui allaient dans le sens de la démarche décentralisatrice. En revanche, j'ai refusé celles qui dénaturaient notre projet initial et qui engageaient plutôt une "recentralisation" de l'organisation administrative de notre pays. Cette volonté recentralisatrice est apparue dès les premières rédactions du rapport, notamment par l'attaque virulente contre l'action des collectivités territoriales.

En quoi la réforme marque-t-elle une rupture avec la décentralisation initiée en 1982 ?

La mesure phare du texte - la création de conseillers territoriaux, à la fois conseillers généraux et conseillers régionaux - est le symbole de cette rupture. La fusion de ces deux fonctions, outre qu'elle est porteuse de confusion pour l'électeur comme pour l'élu, va avoir pour conséquence d'affaiblir le conseil général et le conseil régional. Elle va conduire à une reprise en main du pouvoir central sur les collectivités locales. Ne faut-il pas voir dans cette mesure, largement contestée par ses propres amis, la volonté de Nicolas Sarkozy de reprendre plus facilement à la gauche les vingt régions sur vingt-deux qu'elle dirige ?

La recentralisation ne s'arrête pas là. Avant même le débat sur le projet de loi, qui interviendra au mieux à la fin 2009, la suppression de la taxe professionnelle va menotter financièrement les collectivités locales, alors que les différentes sources de compensation envisagées ne seront pas à la hauteur des recettes nécessaires.

Les collectivités locales sont accusées de trop dépenser. La critique est-elle justifiée ?

Une campagne a été orchestrée sur les coûts de la décentralisation. La réalité est tout autre. Les collectivités locales réalisent 73 % de l'investissement public et ne contribuent qu'à hauteur de 10 % de la dette publique, alors que les déficits de l'Etat et de la Sécurité sociale n'ont cessé de gonfler depuis le retour de la droite au pouvoir.

Mener à la fois la réforme des collectivités et celle des finances : n'est-ce pas insurmontable ?

Non. L'une ne va pas sans l'autre ! Mais depuis des années, on parle de ces deux réformes sans y parvenir vraiment. Aujourd'hui, le gouvernement essaie de passer en force sur la seule taxe professionnelle. De qui se moque-t-on ?