samedi 17 janvier 2009

Réforme ; tribune de JF Auby

Jean-François AUBY est un spécialiste renommé de la gestion des services publics ; il est diplômé de Sciences-Po Bordeaux et de sciences économiques, et ancien élève de l’ENA (Promotion Mendès-France). Il a commencé sa carrière dans le corps préfectoral avant de devenir directeur général industriel du groupe Perrier. À ce titre, il a été membre du bureau de la CCI de Nîmes avant de fonder un cabinet de conseil en gestion publique. Il est auteur de nombreux ouvrages sur l’organisation des services publics et le droit des collectivités locales.

La crise économique que nous vivons actuellement retient légitimement l’attention. Les évolutions institutionnelles passent logiquement au second plan et intéressent surtout les élus et les fonctionnaires territoriaux.

En Octobre dernier, le Président de la République a installé la commission Balladur sur la réforme des collectivités locales. Le 27 Novembre dernier, devant les maires réunis en congrès, le Président de la République appelait à des mouvements expérimentaux de rapprochement, de fusion, entre des collectivités, notamment des régions pour imaginer, par une voie progressive, une profonde réforme de la carte territoriale. Pour les familiers de nos institutions locales, cet appel à des mouvements spontanés de restructuration de nos administrations locales est une nouveauté considérable. Certes, la révision constitutionnelle de 2003 avait introduit, nouveauté importante dans notre droit, la technique de l’expérimentation, mais notre pays, depuis très longtemps, reste ancré dans l’idée que l’administration territoriale doit être uniforme, au nom d’une certaine vision de l’égalité républicaine.

Désormais, cette vision semble laisser la place à une évolution fondée sur des initiatives locales, adaptées aux circonstances, et naturellement génératrices de situations différenciées sur le territoire. Sans préjuger du résultat effectif de ces perspectives, cette évolution doit conduire à s’interroger sur l’évolution de nos institutions locales. Le constat premier, et d’une certaine manière paradoxal, est que, dans cette évolution, les initiatives les plus fortes viennent de l’Etat.

Certes, il est logique que, dans un contexte de crise économique, ce soit l’institution la plus ancienne et la plus forte vers laquelle on se tourne.

Mais, en matière d’administration territoriale, et sans que ceci soit, au moins pour le démarrage, lié, l’Etat donne l’exemple depuis plusieurs mois : il se restructure, se réorganise, s’adapte, non sans difficultés ou contestations parfois. Il organise même son repli. L’exemple des sous-préfectures en est illustratif. Un arrêté du 20 mai 2008 dressait la liste des sous-préfectures pour lesquelles le représentant de l’Etat pourrait être remplacé par un conseiller d’administration, ayant le même rôle que les sous-préfets, mais sans en avoir les avantages et attributs. Comment ne pas y voir une opération de repli, quoiqu’on en dise par ailleurs, d’une fonction dont on ne conteste pas l’utilité, mais dont l’organisation, le statut et le decorum, ont un caractère de plus en plus désuet ? Lorsqu’on se souvient des difficultés que le Ministre Christian Sautter connut lorsqu’il voulut rapprocher les impôts et la comptabilité publique, on ne peut qu’être frappé par l’importance et la rapidité des évolutions de l’organisation de l’Etat, notamment dans sa dimension territoriale. La Direction Générale des Finances Publiques a été créée. L’administration territoriale a été réorganisée autour des préfets de régions, en huit pôles. Les préfets de département ont latitude de réorganiser les services départementaux. Après une expérimentation dans huit départements, les Directions Départementales de l’Agriculture et de l’Equipement sont appelées à fusionner. Autant d’évolutions que certains croyaient impossibles. Chacun sait bien que la crise économique, et les nécessités d’intervention des états qui en découlent, auront des effets lourds sur les finances publiques étatiques et justifieront, le moment venu, de nouvelle mesures de rationalisation de notre organisation publique et donc, de l’administration territoriale d’Etat.

Face à ce mouvement, comment réagissent les collectivités territoriales ?

Sur le plan de la vie locale, les collectivités territoriales, par leurs fonctions, notamment tout ce qui relève du social, et leurs mécanismes budgétaires, ont un rôle d’amortisseur de crise. En dépit des difficultés liées à l’exercice de certaines compétences, comme la compétence sociale pour les départements, elles sont en mesure de le faire et de l’assurer le temps que dure la crise, pour peu que celle-ci ne s’éternise pas trop.

Mais, sur le plan de l’organisation territoriale, on les sent quelque peu inhibées. Les projets et tentatives de restructuration sont plutôt rares, soit que les élus hésitent devant les difficultés de la tâche, soit, et ce n’est pas contradictoire avec ce qui précède, qu’ils attendent que l’Etat, le Parlement, les commissions, comme le comité Balladur, indiquent la voie à suivre.

Certes, les propositions surgissent ci et là : fusionner Haute et Basse Normandie, fusionner Poitou-Charentes et Aquitaine, à moins que ce ne soit avec Pays de Loire, fusionner l’Alsace et ses deux départements. Outre que certaines de ces propositions n’ont pas un objectif essentiel qui soit institutionnel, on peut être déçu du manque d’inventivité de la plupart d’entre elles.

Réformer l’administration territoriale, ce n’est pas forcément fusionner, découper ou répartir des compétences. Cela doit être d’imaginer d’autres formes d’organisation, de travail, et services aux usagers, sans se préoccuper prioritairement des espaces de pouvoir :mutualiser des services, prester pour le compte d’autres collectivités, créer des circonscriptions ou des structures œuvrant pour le compte de plusieurs collectivités, développer l’administration territoriale électronique ou mobile, inventer de nouvelles formes de partenariat entre public et privé, sont tout autant de voies à explorer. Avec cette conséquence potentielle que les organisations locales se différencient nécessairement. Mais est-ce véritablement un problème ? N’est ce pas une conséquence logique de la décentralisation ?

Cet attentisme est plutôt regrettable car il existe un consensus pour considérer que notre organisation uniforme à quatre niveaux, aux compétences complexes et enchevêtrées, ne répond plus aux exigences d’une administration locale moderne.

Les situations de crise économique sont des situations d’opportunité parce qu’elles modifient la hiérarchie des choses et rendent acceptables ce qu’en temps ordinaire, on ne peut pas faire ou on pense ne pas pouvoir faire.

Il est souhaitable que les initiatives de réorganisation, de restructuration, se multiplient, comme l’Etat lui-même le réclame. Mais l’Etat lui-même, qui les appelle de ses vœux, doit les faciliter.

Il peut le faire au moins sur trois plans.

En écartant les obstacles juridiques qui se dressent face aux évolutions institutionnelles, obstacles juridiques qui n’ont été que partiellement levés par la réforme constitutionnelle de 2003.

C’est ce à quoi devraient normalement conduire les travaux du comité Balladur, dont les résultats sont attendus en Février prochain.

En faisant en sorte que les obstacles d’ordre communautaire soient également levés. Sait-on que la Commission Européenne poursuit la France sur la question des mutualisations de moyens des collectivités locales, au motif que ces mutualisations devraient être soumises au droit de la mise en compétition ?

A l’heure où la crise économique conduit à s’interroger sur le bien-fondé de l’application pleine et absolue du principe de concurrence, s’ouvre l’opportunité d’en poser les limites, notamment pour ce qui concerne l’action publique.

Enfin, on ne peut considérer cette évolution du droit des institutions locales sans s‘interroger sur l’alourdissement régulier du droit applicable aux collectivités locales, et des procédures de toutes natures qui l’entravent.

Le Président de la République, dans son discours devant les maires, faisait cette observation à propos des procédures d’appel d’offres. Il annonçait, enfin, que le Code des Marchés Publics allait être allégé, pour se limiter aux normes communautaires. Mais ce besoin de simplification existe dans tout un ensemble de domaines. Le goût immodéré pour la norme continue d’imprégner la production législative et réglementaire. Certes, le Gouvernement a engagé le chantier de lois de simplification du droit, mais le résultat laisse parfois perplexe. Il y a encore beaucoup de travail.

C‘est par le développement d’initiatives locales et par l’inventivité de ses élus et personnels que notre pays pourra connaître une large évolution de ses structures locales.

La crise économique, paradoxalement, devrait en faciliter la réalisation. Il serait regrettable que cette opportunité ne soit pas saisie.