vendredi 25 septembre 2009

Le glas de la démocratie locale

Par Patrice Cohen-Seat, avocat, membre du Conseil national du PCF.

Comment la réforme Sarkozy des collectivités territoriales s’inscrit dans un choix de société

La réforme Sarkozy des collectivités territoriales a un point commun avec les traités européens : derrière un fouillis délibérément inextricable de dispositions « techniques » se cache une dimension essentielle d’un véritable projet de société. C’est cela qu’il faut dévoiler si l’on veut donner aux citoyens la possibilité de saisir l’enjeu, de se mobiliser et d’empêcher la réforme.

Le mot « réforme » est d’ailleurs trop faible : ce projet met sur des rails - dont il sera ensuite très difficile de sortir - un processus visant à supprimer l’essentiel des communes et, à terme, de tous les départements, à dépecer le territoire national en quelques grandes féodalités (une quinzaine de régions et une dizaine de métropoles), à enlever aux 500 000 élu(e)s locaux ce qui fait leur raison d’être (proches des citoyens, et donc porteurs de leurs exigences), à donner à l’État central des pouvoirs qu’il n’avait même pas avant la décentralisation, et à livrer aux appétits du capital privé, dans sa logique de rentabilité, de concurrence et de priorité à la demande solvable, la plus grande partie des fonctions aujourd’hui assurées par les services publics territoriaux dans un objectif d’égalité des citoyens et de cohésion nationale. L’un des objectifs majeurs - le président de la République ne s’en cache pas du tout - est de diminuer drastiquement le « coût » d’un système qui enlève des sommes considérables à la « profitabilité » du capital. Un chiffre parmi beaucoup d’autres : 73 % des investissements publics proviennent des collectivités territoriales, favorisant la constitution d’un patrimoine public qui profite donc à tous. Quel manque à gagner pour le capital privé ! Toute la réforme vise à mettre fin à de « scandaleuses anomalies » de ce type, au moment même où des voix s’élèvent aux quatre coins du monde, à commencer par celle d’Obama, pour souligner combien le système social français a mieux permis que les autres de résister à la crise. Et cela, justement, parce qu’il met « hors marché » une partie très significative de la satisfaction des besoins. Le renforcement du bipartisme dans les institutions locales et le coup fatal porté à une culture qui doit beaucoup au « communisme municipal » faciliteraient considérablement la poursuite de cet objectif. Mais la méthode employée est autrement ambitieuse. Il s’agit de mettre fin, ou tout au moins d’affaiblir considérablement ce particularisme français qui, en mettant des centaines de milliers d’hommes et de femmes élu-e-s et de fonctionnaires au contact très proches des citoyens, oriente vers la satisfaction de leurs besoins une partie importante de la richesse nationale. La démocratie locale est un frein désormais insupportable aux ambitions du capital financier. Et l’on parachève le travail en étouffant financièrement les possibilités des collectivités territoriales de mettre en oeuvre des politiques spécifiques. Apparemment « technique », la suppression de la « compétence générale » des départements et des régions leur interdira, par exemple, de mener des politiques volontaristes dans des domaines qui ne seront plus strictement de leur « compétence » : culture, sport, etc. L’interdiction des financements croisés, et l’obligation pour les communes de financer elles-mêmes au moins 50 % d’un projet, quel qu’il soit, réduira mécaniquement leur capacité d’initiative dans une très grande proportion.

Reste ce qui est sans doute le coeur de l’affaire. Cette réforme est une étape importante dans la réalisation d’un projet de société redoutable. Il est néo-étatiste à outrance : l’État ne payera plus, comme dans ce qui fut qualifié « d’État providence », mais il pilotera tout. C’est le glas non seulement de la décentralisation qui avait cheminé cahin-caha depuis trente ans, mais d’une démocratie locale très riche et originale, qui est au coeur du génie propre de la France depuis plusieurs siècles. Il est ultralibéral et vise à substituer le marché, ses aveuglements et ses injustices aux acquis essentiels d’une culture de service public. C’est ainsi une société de la concurrence de chacun contre tous (personnes ou territoires) qui avance contre une société de solidarité. C’est une société qui oppose l’individualisme à l’idée essentielle de projet collectif dont les instruments sont mis à bas. Et face à l’isolement et à la solitude des personnes qui en résultent, on en appelle à Dieu pour recréer du sens (la place accrue voulue par Sarkozy pour les religions) et au communautarisme pour reconstruire des solidarités hors des valeurs républicaines de laïcité et d’égalité.

La réforme des collectivités territoriales s’inscrit dans ce choix de société. L’affaire est si importante que, profitant de la déconfiture politique et intellectuelle de la gauche et de la mainmise sur les médias de Sarkozy et de ses amis intimes de TF1, France Télévisions et autres, les plus hautes autorités de l’État s’abaissent, pour faire passer tout ça, à mentir effrontément en appliquant la tristement célèbre maxime : « Plus c’est gros, plus ça passe ! » Ainsi des arguments misérablement populistes selon lesquels un trop grand nombre d’élu-e-s coûterait trop cher (en fait, 0,04 % du coût du système !) ou que le « mille-feuille » administratif français serait incompréhensible : quiconque lit les textes des projets de loi est effaré des extravagantes usines à gaz proposées à la place.

Comment mettre ce projet en échec ? D’abord, il faut en révéler et en dévoiler la réalité. Les élu(e)s locaux - singulièrement les communistes, qui ont une légitimité reconnue à le faire - peuvent y contribuer beaucoup. Les assemblées élues peuvent jouer un rôle important en se prononçant partout sur le projet. Et l’idée de populariser l’exigence d’un référendum pour repousser un projet bien pire que la récente réforme constitutionnelle est à mon avis à étudier sérieusement. Rien ne sera possible, dans tous les cas, sans que le plus grand nombre de femmes et d’hommes puissent appréhender le sens du projet de société dans lequel s’inscrit la réforme, et d’y opposer une alternative aussi fondamentale, globale et cohérente : l’implication citoyenne au soutien d’une démocratie proche des réalités et des besoins, le service public au service du bien commun et de l’intérêt collectif, la solidarité et la recherche incessante de l’égalité par des institutions qui organisent les coopérations et les projets partagés, l’ambition d’une nouvelle République ouverte au monde, capable d’inscrire les destins individuels dans des projets collectifs porteurs de sens. C’est à ce prix - qui demande un travail important et urgent - que nous réussirons à créer une mobilisation victorieuse.