jeudi 17 septembre 2009

Réforme territoriale : pourquoi l'Elysée patine

Source : Le Monde

Le calendrier ne tient pas du hasard. A six mois des élections régionales, Nicolas Sarkozy a décidé vaille que vaille d'ouvrir le chantier de la réforme des collectivités territoriales.

Annoncé pour le dernier conseil des ministres de juillet, le texte gouvernemental a été progressivement reporté à la rentrée, puis à la mi-octobre. Les ministres chargés du dossier n'évoquent plus qu'un calendrier lointain : une réforme par tranches avec une adoption définitive en septembre 2010, bien après les élections régionales ! Il faut dire que cette réforme, conçue au départ comme une arme électorale pour diviser l'opposition, s'avère un véritable casse-tête politique et constitutionnel. Sa préparation mobilise quatre ministres, Brice Hortefeux, Alain Marleix, Michel Mercier et Christine Lagarde. Les lignes de clivage n'épargnent pas la majorité, notamment au Sénat. La discussion sera précédée de deux autres réformes, qui inquiètent les élus : le "Grand Paris" et la taxe professionnelle, qui représente la moitié des recettes fiscales des collectivités.

Mais le président de la République en fait une affaire de principe : à l'heure de la crise, et au nom de la modernisation de l'Etat, il veut diviser par deux le nombre des conseillers généraux et régionaux - passer de 6 000 à 3 000 - et clarifier les compétences. Sans oser aller jusqu'à la suppression du département, qui aurait nécessité de modifier la Constitution, M. Sarkozy veut imposer une solution médiane, en créant un "conseiller territorial", qui siégera à la fois au département et à la région.

Cette création va impliquer une modification du mode de scrutin. Le chef de l'Etat prône l'introduction d'un système à un tour, avec une dose de proportionnelle.

Même si la modification ne s'appliquera pas aux régionales de 2010, le calcul politique n'est pas ouvertement assumé mais il est limpide. L'UMP veut reconquérir une part du pouvoir local contrôlé par la gauche. Vingt des vingt-deux régions, métropolitaines, plus de la moitié des départements et la majorité des grandes villes sont gérées par les socialistes et leurs alliés, communistes, Verts et centristes.

Sans réserve de voix, l'UMP s'estime pénalisée par un second tour qui impose des alliances. Aux yeux du chef de l'Etat, la modification du mode de scrutin aurait aussi l'avantage de favoriser l'émergence du pôle écologiste et de compliquer l'équation du PS. "Les Verts n'ont qu'un ou deux conseillers généraux. Ils seraient très heureux d'en avoir plus", dit-on à l'Elysée.

Les socialistes ont arrêté, fin août, lors de l'université du parti à la Rochelle leurs angles d'attaque. Ils se posent en défenseur des élus de proximité convaincus que ces derniers bénéficient d'une très forte légitimité dans l'opinion publique. Ils voient dans la modification du mode de scrutin un "fric-frac électoral", selon la formule du maire de Lyon Gérard Collomb

Enfin, ils veulent convaincre l'opinion que derrière cette réforme se cache en réalité le retour au "centralisme de l'Etat" alors que "les français savent qu'on gouverne mieux quand on est proche d'eux. Ils savent que les collectivités locales sont mieux gérées que l'Etat", dit Jean-Paul Huchon, président PS de la région Ile de France.

L'idée de départ de la réforme semblait pourtant assez consensuelle : simplifier le "millefeuille français", cette spécialité hexagonale qui consiste à empiler les échelons locaux et les administrations.

L'expression revient à Raymond Barre, l'ancien premier ministre de Valéry Giscard d'Estaing, grand amateur de gastronomie et de rigueur économique qui rêvait déjà de soumettre la France à un régime plus spartiate. C'est dire si le débat est ancien. Communes, communautés de commune, syndicats intercommunaux, pays, communautés urbaines, conseil général, conseil régional, la France depuis trente ans, n'a cessé de créer de nouvelles institutions, compliquant la lisibilité de la décentralisation. En instituant un conseiller territorial, l'opposition et une partie de la majorité redoutent une nouvelle "complexification" du système.