Maurice Leroy, député (Nouveau Centre) de Loir-et-Cher, président du conseil général - Tribune dans Le Monde
Nous en tombons tous d'accord : notre "organisation" territoriale est un imbroglio institutionnel aux logiques fumeuses qui engendre des coûts inutiles, des lenteurs administratives et, au final, une inefficacité permanente. Nous aurons beau revoir toutes les politiques publiques, si les structures administratives ne sont pas dans le même temps réformées, l'effort sera vain.
Devant le congrès réuni à Versailles en juin, le chef de l'Etat a fixé l'ambition de l'indispensable réforme : en finir avec la superposition des structures, l'enchevêtrement des compétences et des financements croisés, en clarifiant la gouvernance, les attributions et le financement des collectivités territoriales. On ne peut en effet supporter plus longtemps un système où, par exemple, les intercommunalités et les conseils généraux empiètent constamment sur des domaines qui relèvent des régions comme l'aménagement du territoire, le développement économique, l'action culturelle ou le tourisme.
Voilà six mois déjà, le comité Balladur pour la réforme des collectivités territoriales a remis au président de la République des recommandations précises. Sur le coup largement médiatisées, elles sont, depuis, l'objet de concertations beaucoup plus discrètes, notamment avec les associations d'élus, avant l'examen au Parlement cet automne.
Or, le tour pris par ce débat plus intime, nécessairement plus technique, mérite d'être porté à la connaissance de l'opinion. Il est particulièrement préoccupant, tant s'accumulent les bâtons dans les roues de l'indispensable réforme, comme si certains voulaient à tout prix la stopper net.
Prenons l'une des propositions importantes du comité Balladur : l'instauration de conseillers territoriaux qui remplaceraient les actuels conseillers régionaux et conseillers généraux. Selon le rapporteur du futur projet de loi à l'Assemblée nationale - Dominique Perben - leur nombre pourrait être ainsi réduit de 40 % à 50 %.
Il est une évidence : le canton, tel qu'il existe aujourd'hui, n'est plus qu'un découpage électoral. Le canton n'est plus cohérent avec les bassins de vie et il s'est progressivement déconnecté, par les réformes successives, de l'organisation administrative. Dans les villes, il est devenu invisible, une sorte d'ectoplasme institutionnel ! Avec le développement de l'intercommunalité, le phénomène gagne l'ensemble du territoire. Il est de simple bon sens que les futurs conseillers territoriaux soient des élus de circonscriptions nouvelles élargies.
Le déséquilibre entre la représentation de la ruralité et celle des villes est flagrant, et constamment dénoncé. Le comité Balladur propose d'en finir avec cette anomalie en instaurant, dans les circonscriptions électorales infradépartementales qui serviront de base à l'élection des conseillers territoriaux, des modalités de scrutin différentes pour les villes. Sans doute faut-il introduire une dose de proportionnelle, tout en préservant le lien avec une circonscription électorale. Sans doute faut-il, au sein de la future assemblée territoriale, instaurer, comme actuellement à la région, une prime à la majorité, pour qu'elle reste gouvernable. Si des difficultés juridiques apparaissent ici ou là, elles ne doivent pas donner prétexte à ne rien faire.
Aujourd'hui, la "clause de compétence générale" permet aux collectivités d'intervenir tous azimuts sur leur territoire. La bonne et simple idée - suggérée par Edouard Balladur - consisterait à la retirer aux départements et aux régions, pour les cantonner enfin dans des compétences précises. Abolie, pour les élus, la tentation de s'occuper de tout avec une efficacité bien douteuse, alors qu'une autre collectivité fait la même chose ! Du moment que l'action est menée comme il faut avec les moyens qu'il faut, qu'importe qu'elle le soit par le département ou la région ! On doit en finir avec cette espèce de surenchère d'amour-propre, luxe supporté in fine par le contribuable.
Il faut croire que le bon sens est subversif : levée de boucliers d'élus locaux de tous bords. Une mission sénatoriale multipartite, présidée par l'UMP Claude Belot (Charente-Maritime), rejette clairement l'idée du conseiller territorial, proposant à la place la création de deux instances - un conseil régional des exécutifs et une conférence départementale des exécutifs - pour assurer la coordination entre départements et régions.
Bref, un perfectionnement de l'usine à gaz ! Sans doute le vice-président UMP de la même commission, le sénateur UMP du Cher Rémy Pointereau, s'est-il rallié à l'option initiale qui mettrait "un terme à la concurrence institutionnelle et parfois financière" entre les collectivités. Dans l'ensemble, cependant, les réactions des parlementaires - par ailleurs élus locaux -, de droite comme de gauche, manifestent jusqu'à présent une hostilité si virulente qu'elle fait douter de leur adhésion au principe même de la réforme.
L'attitude n'est pas à la hauteur de l'enjeu. L'institution de conseillers territoriaux est indispensable pour créer une vraie cohérence entre l'échelon régional et le niveau départemental, gage d'une coordination territoriale qui fait aujourd'hui cruellement défaut. Depuis que le Parti socialiste contrôle vingt régions sur vingt-deux, et plus encore à l'approche des élections régionales de mars 2010, le phénomène s'est amplifié. Il y a urgence.
Ne gâchons pas la chance historique qui nous est donnée de moderniser nos institutions. Intercommunalité, départements, régions, fiscalité locale. Ne transformons pas ces chantiers essentiels pour la France en entreprises de défense de ce qu'il faut bien appeler des intérêts catégoriels. Nos collectivités ne sont pas des gâteaux qu'il s'agirait de partager entre le maximum de convives, tout en préservant sa part ! C'est ce genre d'attitude qui fait que nos concitoyens désespèrent parfois de leurs élus.
Il est décidément grand temps d'agir et d'avancer dans l'indispensable réforme de l'organisation territoriale.
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